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son manteau de cachemire le bournous blanc d’Amine ; Rudolph, en avant de quelques pas, cherchait à reconnaître son valet de pied parmi les livrées de toutes couleurs qui encombraient le vestibule.

La foule était compacte, et, pendant quelques secondes, Amine et Dalberg, M. Desprez et sa fille, furent obligés de stationner sur la même marche. Cette minute parut un siècle à Dalberg. Pour Amine, elle prit sa revanche du regard de Calixte ; elle se composa une physionomie si rayonnante d’amour, s’appuya au bras d’Henri avec une câlinerie si voluptueusement pudique, se serra contre lui d’un air si confiant dans sa protection, car le flot de la descente faisait chanceler les groupes stationnaires, elle l’enveloppa si bien de caresses invisibles et en prit si complétement possession, que Calixte, qui vit ce manége à son adresse, bien qu’elle eût la tête tournée de l’autre côté, eut l’âme traversée par un doute, — le premier, le seul ! — ce ne fut qu’un éclair ; mais la douleur avait été si atroce que Calixte se sentit subitement baignée de sueur dans son corsage.

Heureusement Rudolph revint ; Dalberg lui jeta un coup d’œil si plein de mépris, de haine et de fureur, que Calixte, au milieu de l’épouvante que lui causait l’imminence d’une provocation publique, car de tels regards équivalent à des soufflets, éprouva un sentiment de bien-être délicieux : — Henri l’aimait toujours !

Comprenant ce qu’une pareille scène, en pareil lieu, aurait d’odieux et de ridicule, Dalberg se contint, recouvra son sang-froid, et couvrit sa colère d’un masque de dédain glacial. La foule s’écoula. — Rudolph, Desprez et Calixte montèrent en voiture, et Dalberg reconduisit Amine chez elle.

À peine montée dans sa chambre, Calixte, sans se déshabiller, sans même prendre la peine de fermer sa