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sayées avec des ceintures tout unies, pour avoir l’air, moi aussi, d’une pensionnaire !

Amine parlait-elle sérieusement ou voulait-elle se jouer de la crédulité de Dalberg ? C’eût été une question difficile à résoudre. Sa voix, son regard, son geste, tout avait pourtant l’accent de la vérité.

— La jalousie qui m’a fait envoyer le portrait de Calixte à M. Desprez m’a bien mal inspirée, puisqu’elle me vaut votre haine, reprit Amine avec un soupir savamment modulé ; si je vous avais cru amoureux à ce point, je n’aurais pas essayé de surprendre un cœur trop bien gardé, hélas !

Nous devons avouer que Dalberg, à qui, depuis six semaines, Calixte n’avait donné aucun signe de vie, et qui ne s’était pas même laissé apercevoir derrière son rideau, ne trouvait pas en cet instant Amine si monstrueusement perfide qu’elle lui avait semblé d’abord, tant l’homme pardonne aisément les actions les plus coupables quand elles flattent son amour-propre par quelque côté.

— Ce qui est fait est fait, et vous devez avoir perdu tout espoir de rentrer dans les bonnes grâces de Calixte et de M. Desprez. — D’ailleurs, Calixte ne vous aimait pas ; a-t-elle fait le moindre effort pour vous revoir ? Vous a-t-elle écrit un mot seulement ? A-t-elle eu la moindre pitié de votre douleur ? Ces petites filles dévotes ont des rancunes diaboliques ; jamais elle ne vous pardonnera.

Déjà Dalberg s’était dit plusieurs fois tout bas ce qu’Amine lui disait tout haut. Calixte lui paraissait, même en faisant la part de sa colère légitime, obéir bien ponctuellement aux injonctions paternelles.

— Combien de temps continuerez-vous à promener par la ville l’élégie de votre figure et de votre personne ? Votre moustache est mal taillée, vos cheveux ne frisent pas, vous avez un gilet de deux mois.