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pas chercher à éviter la présence de Rudolph ; quand il arrivait et qu’elle se trouvait au salon, elle ne se retirait pas dans sa chambre, comme elle faisait d’ordinaire s’il survenait quelque visite. Elle semblait écouter avec intérêt les entretiens du baron et de M. Desprez. Voyait-elle en Rudolph un ami de Dalberg ? Espérait-elle qu’il parlerait en sa faveur à M. Desprez et le ferait revenir de ses préventions ? Ou bien la conversation brillante de Rudolph apportait-elle une distraction passagère à ses ennuis ? C’est ce que nous ne saurions décider.

Lorsqu’elle était là, le baron, abandonnant les sujets un peu lourds qu’il traitait habituellement avec l’ex-notaire, déployait toutes les ressources de son esprit, et il en avait beaucoup, de naturel et d’acquis, et, sans galanterie trop marquée, trouvait toujours moyen d’envoyer à l’adresse de Calixte quelque phrase flatteuse et quelque compliment de bon goût.

Quelquefois, lorsque la jeune fille avait la tête tournée et que M. Desprez développait compendieusement quelque problème d’économie rurale, le baron lançait sur elle un regard furtif et plein de flamme qui contrastait étrangement avec la blancheur morte de sa figure.

Ce regard n’était pas étudié, puisque personne ne devait le voir. Il exprimait donc les véritables sentiments qui agitaient l’âme de Rudolph. Or jamais œil d’écolier de vingt ans ne décocha un rayon plus chargé de flamme magnétique, plus fulgurant de passion que celui du complice d’Amine ; le plus ardent amour y scintillait en traits phosphorescents. Certes, l’idée d’une dot de cinq cent mille francs n’entrait pour rien dans ce regard désintéressé comme l’amour vrai.

Il s’était fait dans Rudolph un changement complet depuis sa promenade nocturne avec Henri sur le bou-