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— Non, mon père, — Henri n’a pas cessé d’être digne de votre fille ; — je crois en son amour comme en Dieu. — S’il ne m’aimait plus, mon âme le sentirait ; quelque chose se briserait en moi : — je n’ai été avertie par rien.

La figure de la jeune fille rayonnait de la plus pure confiance et avait une expression sublime.

— Et ce médaillon, renvoyé par la plus vile créature, à qui Dalberg t’avait sacrifiée ?…

— Il a été perdu ou volé.

— Quel aveuglement ! le trouble d’Henri l’accusait assez, comment se refuser à une telle évidence ?

— Mon père, je ne vous désobéirai en rien… Vous m’avez défendu tout à l’heure de voir Henri, je me conformerai à vos ordres ; vous me dites qu’il est coupable, je suis sûre du contraire ; — vous l’avez trouvé pendant dix ans honnête, pur et loyal, il est toujours ainsi, et vous reviendrez bientôt de votre premier jugement. — Je ne sais rien de la vie, hors l’amour ; je n’ai pas l’expérience, mais à son défaut la foi m’éclaire.

— Chère enfant, je voudrais bien partager ton illusion ; mais vous autres, qui vivez à l’écart dans de petites chambres blanches, et ne voyez le fiancé qu’un bouquet à la main, un genou en terre et fraîchement frisé, vous vous faites d’étranges chimères sur les choses du monde ; — vous croyez que tout est rose et bleu de ciel, qu’il n’y a point de loups dans les bergeries. Hélas, chère enfant, l’idéal est souvent menteur ; et si tu savais tout ce que Dalberg fait à Paris, si tu pouvais le suivre, ayant au doigt l’anneau qui rend invisible, tu changerais peut-être de langage.

Un sourire presque imperceptible voltigea sur les lèvres de Calixte à ces paroles de M. Desprez ; mais ce ne fut qu’un éclair.

— Tu sens bien, dit l’ex-notaire en mettant un