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— Vous savez le portrait qu’elle m’a dérobé au souper, pendant que je dormais : elle l’a envoyé, accompagné de la lettre la plus scélérate du monde, au père du modèle.

— Lequel a dû prendre une idée déplorable de vos mœurs… — et vous mettre très-probablement à la porte de son domicile patriarcal.

— Qui a pu dire à cette enragée créature le nom de Calixte… et l’adresse de M. Desprez ?

— C’est bien difficile ! et vous êtes d’une ingénuité rare… Depuis le jour du steeple-chase. Amine a pour vous un caprice marqué ; elle vous a fait à table des œillades terribles, malgré la présence réfrigérante de M. Demarcy. Vous ne lui répondez que mollement. Le médaillon vous révélait amoureux ; il n’a fallu que vous faire suivre deux ou trois jours par un simple mouchard pour savoir que vous alliez très-souvent rue de l’Abbaye. Et dans cette rue, sans la vouloir calomnier, il doit bien y avoir un portier bavard et même deux. C’est limpide comme du kirch, personne ne vous a trahi que vous-même.

Ce que disait Rudolph était tellement vraisemblable, que les vagues soupçons qui avaient pu traverser l’esprit de Dalberg s’évanouirent tout à fait.

— Amine a sans doute posé au rachat du portrait des conditions exorbitantes.

— Pas trop… en vérité. Mais j’étais ensorcelé, j’aurais cru commettre un crime…

— Vous avez fait la bégueule… et joué en paletot la scène de Joseph.

— À peu près.

— Amine est dans son droit, elle se venge de vos dédains. Ce dépit prouve de l’amour. Si vous m’aviez consulté, je ne vous aurais pas laissé faire cette sottise-là. L’orgueil des femmes est implacable.

— Me voilà renvoyé par M. Desprez, haï par Calixte.