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levard des Italiens, fumant un cigare éteint depuis longtemps ?… Vous voilà bien tous, vous autres jeunes gens ! Il faut s’amuser, mais non pas se tuer… Vous buvez sans méthode, vous mangez sans philosophie, vous mélangez des excès qui ne s’accordent pas.

D’où sortez-vous ?…

— Mon cher Rudolph, je n’ai manqué en rien à l’hygiène, quoique j’aie la figure toute bouleversée et que je sois de fort mauvaise humeur.

— Vous avez perdu… dit Rudolph : — vous n’êtes pas assez froid devant les cartes.

— Je n’ai pas perdu… au jeu du moins.

— Quelque spéculation qui n’a pas tourné comme vous l’espériez ?

— Non… je n’ai pas de capitaux engagés.

— Alors c’est donc quelque peine morale… quelque désespoir amoureux… une jolie tigresse s’amuse à se repasser les griffes sur votre cœur ?

— Voyons, Rudolph, ne plaisantez pas… je suis sérieusement affecté. J’ai des idées noires, je me sens un découragement mortel ; la vie m’est à charge.

— Diable ! n’allez pas devenir un poëte romantique. Vos doléances puent l’élégie de beaucoup de kilomètres à la ronde.

— Vous êtes cruel, Rudolph. Laissez votre ricanement pour quelques minutes.

— Me voilà aussi grave que possible ; et, puisque vous avez un véritable chagrin, j’y compatis de tout mon cœur. — De quoi s’agit-il ?

— Vous ne raillerez pas ?… reprit Dalberg avec un air de doute.

— Pas le moins du monde… Commencez votre complainte.

— Amine m’a joué un tour abominable…

— Je la croyais très-bien disposée à votre endroit.