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fiance en vous… je vous dirai tout plus tard, mais il faut que tout ceci s’explique sans témoins… revenez demain, je serai plus calme… aujourd’hui je ne répondrais pas de la portée de mes expressions… Vous, Dalberg, et Calixte, restez.

Les amis de M. Desprez se retirèrent tout inquiets et tout émus. Que pouvaient donc contenir cette lettre et cette boite pour troubler à ce point et mettre dans une si véhémente colère un homme ordinairement d’une tranquillité et d’une douceur peut-être excessives ?

Le laquais les regarda sortir processionnellement, et, quand ils eurent tous disparu, il s’approcha de M. Desprez et lui dit :

— Monsieur, y a-t-il une réponse ?…

L’ex-notaire lui montra la porte d’un geste si impérieux et si violent, que le laquais, malgré son audace et sa grande taille, fit un brusque demi-tour et s’esquiva, craignant d’être jeté par la fenêtre s’il tardait une minute.

M. Desprez se promena de long en large, comme s’il eût voulu laisser aux vagues folles de son indignation le temps de tomber ; puis, devenu plus calme, il tendit silencieusement la boîte à sa fille et la lettre à Dalberg.

— Ma fille, dit-il après une pause, je ne vous ferai pas de reproches, — bien qu’une jeune fille ne doive pas donner, même à un fiancé, un gage dont vous voyez maintenant tout le danger. Votre faute est en quelque sorte excusable et vient d’une âme noble… Vous avez cru à la foi jurée, à la sainteté de l’amour… Remontez dans votre chambre, je ne vous en veux pas… je vous plains. Quant à vous, Dalberg, qui n’avez pas craint de laisser profaner ce chaste portrait par des mains impures, et de livrer l’honneur et le nom de ma fille à des rancunes de courtisane, vous