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— Allons, je reste, se dit-il en se déshabillant, quand Rudolph saura cela, c’est pour le coup qu’il se moquera de moi ; mais je penserai à Calixte, et ses plaisanteries glisseront sur moi comme la pluie sur une twine imperméable. Demain, — je m’excuserai auprès d’Amine d’une façon quelconque, — j’aurai passé la nuit à jouer, je ne serai rentré que le matin, je l’amuserai quelques jours, et quand je serai marié, je n’aurai plus rien à redouter d’elle. L’original me consolera d’avoir perdu la copie, et si elle veut faire quelques noirceurs, j’aurai le droit de défendre ma femme.

Un peu rassuré par ce raisonnement, Dalberg se coucha et finit par s’endormir d’un sommeil peu profond et traversé de rêves où l’image d’Amine, l’œil languissant, les joues colorées d’une légère vapeur rose, le coude noyé dans un oreiller de dentelles, lui présentait le médaillon de Calixte.

— Comment me trouves-tu, Annette, disait de son côté Amine à sa femme de chambre, suis-je vieillie, ai-je quelque ride, quelque tache, quelque défaut dont je ne me sois pas aperçue ? Tu peux être franche.

— Madame n’a jamais été si bien que ce soir, répondit Annette d’un ton admiratif. Je lui trouve les yeux d’un lumineux particulier.

— C’est le feu de la fièvre ; l’impatience, la colère… Deux heures ! Il ne viendra pas… je n’y conçois rien. Pourtant ce matin, sa voix tremblait, il rougissait, il pâlissait. — Il me trouvait belle, j’en suis sûre !… Oh ! quelle idée me traverse l’esprit ! si ce langoureux personnage à médaillon ne couchait pas chez lui, si j’avais deux rivales au lieu d’une à combattre ! — Deux, c’est trop facile, — l’amour exclusif est donc une chimère ? Ce petit Dalberg me déplaît déjà beaucoup. — Pauvre Calixte ! j’ai bien envie de le lui laisser pour le punir d’un tel choix. Si Rudolph ne