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Florence déposa Dalberg près des chevaux de Marly, et reconduisit Amine chez elle. — Pour Rudolph, il rentra dans son entre-sol de la rue de Provence, et, après dîner, comme il n’avait rien à faire, il joua quatre heures de suite à la bouillotte des parties sèches, c’est-à-dire où aucun argent n’était engagé, avec des amis curieux comme lui de ne rien perdre de leurs forces.

Dalberg, qui devait une visite de digestion à M. Desprez, était allé changer de toilette, — se trouvant trop bien mis ; — sa chemise, brodée et ornée de transparents prétentieux, fut remplacée par une autre très-fine, mais plus simple ; à son gilet un peu flamboyant succéda un gilet d’une nuance modeste et plus assortie à la gravité d’une maison d’ex notaire, naturellement amoureux d’habits noirs et de couleurs sombres.

En déposant ses vêtements de lion, Dalberg avait repris son ancien caractère, et quand il entra dans le salon de M. Desprez, à sa mise simple, naturelle et modeste, l’on n’eût pas reconnu le jeune homme qui se promenait chaque soir, au bras de Rudolph, sur le boulevard des Italiens d’un air si crâne et en soufflant au nez des femmes la fumée de son cigare.

Ce n’était pas de sa part dissimulation, mais retour à la vérité.

Quand il alla saluer Calixte, occupée de quelque ouvrage dans l’embrasure de la croisée, il se sentit embarrassé malgré le sourire amical et l’accueil plein de bienveillance de la jeune fille. La conscience de n’avoir plus le médaillon le tourmentait ; il lui semblait que Calixte devait deviner par intuition magnétique la perte de ce doux gage d’amour et de confiance, et par un mouvement puéril sans doute, mais que comprendront ceux qui ne rient pas des poétiques superstitions de l’âme, il croisa son habit, interposant