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Amine, enveloppée des pieds à la tête dans un grand cachemire, s’étalait sur le velours bleu des coussins comme si elle eût été couchée, saluant avec une certaine affectation les gens de connaissance qu’elle rencontrait. Elle était fière de paraître en public avec Florence, comme le serait une bourgeoise de sortir avec une duchesse, ou une choriste avec un premier sujet. Chaque monde a son aristocratie, et dans ce monde-là Florence était une princesse du sang.

À l’avenue de Madrid, on rencontra Rudolph qui faisait une promenade à cheval, et parut assez étonné de voir Amine avec Dalberg dans la voiture de Florence. En homme qui a l’usage du monde, il ne témoigna aucune surprise, et se mit à trotter le long de la calèche, échangeant avec les femmes quelques observations caustiques sur les tournures plus ou moins grotesques des cavaliers qui filaient dans un nuage de poussière.

— Quel motif peut avoir la réunion de ces personnages disparates ? se demandait Rudolph, tout en cheminant du côté de la calèche occupée par Amine. — La vertueuse Florence aurait-elle l’imagination préoccupée à l’endroit du jouvenceau recommandé par moi aux soins d’Amine ? Voilà une auxiliaire sur qui je n’avais pas compté ; deux valent mieux qu’une. Si Amine échoue, Florence réussira. Si l’une d’elle lui déplaît, l’autre doit le charmer ; il n’y a pas moyen qu’il échappe.

Et Rudolph, rassuré sur la réussite de ses projets, fit faire une courbette à son cheval.

Amine, se penchant hors de la voiture du côté de Rudolph, qui s’était rapproché, dit en anglais et d’un ton de voix assez bas pour n’être pas entendue d’Henri ni de Florence, occupés d’ailleurs de leur conversation :

— Le nom du portrait ?… vite !