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— Pourquoi faire ? répondit Amine en remuant dans un baguier placé sur un guéridon près de son lit un amas étincelant de bijoux. Vous l’aimez donc beaucoup cette blonde ?… Est-ce qu’elle est jolie ? les portraits sont toujours flattés.

— Jolie… répondit Dalberg en balbutiant… pas absolument… de la fraîcheur, de l’ingénuité.

— Oui, la beauté du diable… des couleurs de pension, les coudes et les mains rouges, dit Amine avec une petite moue dédaigneuse en avançant sa main blanche, fluette, veinée légèrement d’azur, transparente comme l’opale, et dont les ongles ressemblaient à des feuilles de rose du Bengale.

— Oh ! quelle admirable main vous avez ! reprit Dalberg, désireux de changer le cours de la conversation.

Et il attira vers lui le bras d’Amine, qui se laissa faire.

— Les sculpteurs les plus illustres l’ont moulée… Mais il ne s’agit pas de ma main. Comment pouvez-vous aimer une blonde ? Les blondes ont les cils blancs et les sourcils effacés ! dit Amine en agitant par un mouvement rapide, pareil à celui que les Espagnoles impriment à leur éventail, les longues franges brunes de ses paupières, qui palpitaient sur ses joues comme des papillons noirs sur un bouquet de roses.

Malgré toute sa passion pour Calixte, Dalberg ne pouvait s’empêcher de convenir que les cils d’Amine étaient longs, soyeux, d’une nuance admirable, et faisaient merveilleusement ressortir la nacre bleuâtre de ses yeux. Il répondit d’un air dégagé :

— Je ne suis pas amoureux.

— Comment ! et vous portez un médaillon sur votre cœur ! Que feriez-vous donc si vous l’étiez ?

— Pur enfantillage ! — Imitation de romans passés de mode ; sentimentalité à la Werther !

— Dont vous n’êtes pas corrigé, à ce qu’il paraît ?