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que de tact et de convenance. Ne risquait-elle pas de se dépoétiser aux yeux mêmes de celui qu’elle voulait charmer ? ou bien pensait-elle que ces recherches de sultane ou d’impératrice romaine, que ce culte excessif de soi-même était un moyen de séduction, les hommes étant toujours flattés des efforts faits pour leur plaire ?

Il faisait à peine jour chez Amine. Une veilleuse agonisait dans une lampe d’albâtre suspendue au plafond, et jetait des reflets vacillants qui faisaient vaguement miroiter, dans l’ombre des dorures rocaille, des ventres de potiche et des angles de cadre.

Dalberg fit quelques pas en hésitant. Ses yeux, accoutumés à la vive clarté du dehors, ne pouvaient encore rien distinguer dans cette demi-obscurité.

— Allons, Annette, ouvrez les rideaux et enlevez la lampe ; il fait jour, je pense, dit Amine à sa camériste.

Un torrent de lumière entra dans la chambre, et un joyeux rayon de soleil se mit à sauter le long des murs comme une folle levrette enfin admise auprès de sa maîtresse.

— Ah ! c’est vous, monsieur Dalberg ! vous êtes venu hier, à ce qu’on m’a dit ? — Combien je regrette de ne pas m’être trouvée là. — Mais qui aurait pu prévoir que vous m’honoreriez de votre visite ? dit Amine avec un charmant sourire ; il faut vraiment que je ne sois guère coquette pour vous recevoir faite ainsi.

Et, en disant cela, la malicieuse créature commettait un gros mensonge, car elle savait très-bien qu’aucune toilette au monde ne valait pour elle le désordre étudié où elle se trouvait.

Son bonnet garni de dentelles gisait à côté de sa tête, sa chevelure soyeuse se répandait en boucles lustrées sur la blancheur du drap, et laissait voir une