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que temps sur le boulevard des Italiens pour n’avoir pas l’air d’un sauvage tombant dès l’aurore dans une maison civilisée, il se rendit chez Amine, qui habitait, rue Joubert, un appartement princier.

Il sonna. Un petit groom fagoté en singe savant vint lui ouvrir, lui demanda son nom, puis s’enfonça dans les profondeurs de l’appartement pour aller consulter la femme de chambre.

Au bout d’une ou deux minutes, le groom revint avec un air plus gracieux et accompagné de la camériste.

— Ma maîtresse est encore au lit, dit-elle à Dalberg ; mais, si monsieur veut excuser le désordre d’une chambre à coucher qui n’est pas faite, madame consent à le recevoir.

Dalberg fit la réponse naturelle ; et, comme il y avait déjà dans le salon un visiteur moins favorisé qui attendait patiemment l’heure du lever d’Amine en lisant des journaux et des brochures, on fit traverser à Henri un cabinet encombré d’aiguières d’argent, de jattes de porcelaine du Japon, de brosses, de limes, d’éponges, de gants à masser, et de tous les raffinements de toilette qu’ont inventés, dans tous les temps et dans tous les pays, la coquetterie et la richesse amoureuses d’elles-mêmes.

Derrière un paravent fumait l’eau tiède encore d’une baignoire garnie d’un fond de toile de Hollande. Çà et là étaient jetées négligemment quelques-unes de ces belles serviettes damassées algériennes qui boivent si parfaitement la sueur dans les étuves moresques, et avec lesquelles les femmes d’Amine avaient séché sur son beau corps les dernières perles du bain.

Peut-être trouvera-t-on que faire traverser à un homme sur qui l’on a des intentions cet atelier de beauté qu’on nomme un cabinet de toilette, est, de la part d’une femme aussi exercée qu’Amine, un man-