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sée plus libre, malgré une éducation austère, qu’elle ne l’eût été si sa mère eût vécu, avait déjà une grâce sérieuse, des idées plus réfléchies que la plupart des jeunes filles.

Bien que la maison de M. Desprez ne fût guère amusante, et qu’il n’y vint que des quinquagénaires pour faire le whist et le boston, Henri la trouvait la plus divertissante du monde, et y passait presque toutes ses soirées.

Le grand salon à boiseries grises, et dont les angles restaient toujours en dehors de l’auréole des bougies, lui paraissait gai, lumineux et vivant. Son avis eût sans doute été tout autre si, en entrant, il n’avait pas vu Calixte déjà assise au piano, et déchiffrant quelque morceau difficile qui réclamait son avis et son intervention. D’autres fois, c’était une lecture de quelque poète étranger qu’il fallait traduire ensemble, et souvent leurs têtes, penchées vers la même page, s’effleuraient par le front ou la joue ; une boucle blonde se mêlait aux cheveux bruns d’Henri ; mais dans le feu de l’explication on n’y prenait pas garde. La surveillance, un peu assoupie il est vrai, de la vieille gouvernante, légitimait d ailleurs ces entrevues d’une pureté parfaite, et auxquelles le rigorisme le plus scrupuleux n’eût rien trouvé à redire.

Lorsque Dalberg fut obligé de partir pour Paris, où l’appelaient le perfectionnement de ses études et le soin de son avenir, Calixte éprouva un grand serrement de cœur ; — la scène des adieux fut triste. Dalberg demanda et obtint une miniature que Calixte avait faite d’après elle-même au miroir et qu’elle destinait à une de ses amies de pension, car elle peignait avec beaucoup de goût. Ce fut alors seulement que ces deux enfants comprirent combien ils s’aimaient. Ils ne se l’étaient jamais dit, mais leurs âmes s’étaient fiancées silencieusement et avaient