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assise à son métier et comptant les points d’une fleur tracée au carreau qu’elle voulait copier. Elle lui apportait ce qu’elle avait demandé.

— C’est bien, ma bonne, dit Calixte d’un ton doux et bienveillant. — Comment trouvez-vous ce dessin ?

— Parfait ! répondit la vieille femme sans se douter que Calixte venait de l’envoyer chercher assez loin un écheveau de laine dont elle n’avait que faire, et qu’on eût fort surprise en lui apprenant que la pupille qu’elle ne quittait pas d’un instant avait reçu, lu et brûlé un billet éminemment suspect.

Quelques mots sur Calixte et son origine ne seraient pas déplacés ici. Calixte habitait Paris depuis six mois seulement avec M. Desprez, son père, ancien notaire d’une ville de province qu’il est inutile de désigner, et qu’il s’étonnait d’avoir quittée.

Cette ville était la ville natale d’Henri Dalberg, légèrement cousin de Calixte Desprez. Là, ces deux enfants s’étaient connus et liés l’un à l’autre par ce fil imperceptible de l’habitude ; ils avaient vécu ensemble dans la charmante familiarité de l’innocence : leur parenté, qu’ils s’exagéraient, expliquait la fréquence de leurs rapports ; on les avait vus si petits l’un et l’autre, que personne ne songeait qu’ils étaient devenus grands. M. Desprez, parce qu’il avait autrefois fait danser Henri sur son genou, le regardait comme un enfant sans conséquence ; quant à sa fille, elle lui paraissait à peine sevrée, et il l’appelait toujours « Petite, » comme le jour où elle était revenue de nourrice : aberration commune aux gens âgés, qui, parce qu’ils restent stationnaires, ne s’aperçoivent pas que tout pousse autour d’eux, et demeurent tout ébahis qu’un jour ces bambins fassent des dettes, se battent en duel, aient des maîtresses et demandent à se marier. Henri était pourtant un beau jeune homme, ayant la tête de plus que M. Desprez, et Calixte, lais-