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aucun prétexte pour supposer une intrigue de roman.

Une ou deux vieilles femmes marmottaient des prières, chacune devant son autel de prédilection, et un vieillard coiffé d’un bonnet de soie noire balayait la nef et rangeait les chaises, dont les pieds tracassés faisaient un bruit répété longuement par la sonorité vide de l’église.

L’esprit le plus sceptique n’eût pu soupçonner ce bonhomme d’être un prince déguisé ; c’était bien un balayeur d’une authenticité incontestable, et d’ailleurs connu dans le quartier depuis quarante ans.

L’objection qu’il existe une autre porte, — et même d’un assez joli style renaissance, — qui donne sur une autre rue, n’aurait eu aucune valeur, car, depuis plus d’une heure, personne n’avait passé par là.

Malgré toute l’envie possible de croire qu’on tenait le bout du fil d’un de ces imbroglios que la curiosité aime tant à démêler, il eût fallu se résigner à ce fait tout simple et peu romanesque que la dame inconnue n’avait d’autre but que de faire sa prière, en dépit du manteau-sac, du voile et de la citadine aux stores baissés. En ce siècle d’incrédulité, tout le monde n’a pas le courage d’être pieux ouvertement, et beaucoup de gens se masquent pour aller à l’église.

Au moment où la citadine se mettait en mouvement, parut au coin de la rue de l’Abbaye une jeune fille accompagnée d’une gouvernante âgée et d’une physionomie respectable, qui tenait ouvert au-dessus de la tête de son élève un parapluie de forme patriarcale.

La mise de la jeune fille, quoique d’une simplicité presque puritaine, faisait voir par la finesse des étoffes et le soin des détails qu’elle appartenait aux classes aisées de la société. Sa figure fraîche et colorée annonçait une vie calme comme le quartier. On ne lisait pas autour de ses yeux bleus la fatigue des bals,