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des convives, la plupart viveurs émérites, s’était endormi dans l’angle d’une causeuse, comme un enfant qu’on a oublié de coucher.

— Bon, le voilà qui dort plus à lui seul qu’un comité de lecture, dit Amine en passant devant lui ; — s’il allait nous dire en rêvant le nom de celle qu’il aime, — style de ballet, — ce serait drôle !

Tout à coup elle se pencha vers le dormeur « comme Diane vers Endymion. » — Par l’interstice de la chemise de Henri, que laissait bâiller un bouton d’opale sorti de sa boutonnière, elle avait vu briller un petit médaillon au bout d’un ruban. L’attirer à elle et couper de ses dents de rat le nœud qui le retenait avait été pour Amine l’affaire d’un instant. Dalberg avait tressailli et porté vaguement la main à sa poitrine, comme pour défendre son bien, mais ne s’était pas réveillé.

— Ah ! pour le coup, nous allons rire, à défaut du nom, nous connaîtrons au moins la figure de la bien-aimée de M. Dalberg.

Et la malicieuse créature s’était enfuie au bout du salon et réfugiée parmi un groupe de ses compagnes, de peur que le médaillon ne lui fût brusquement arraché des mains. Elle en fit jouer le ressort et mit en évidence une miniature grande comme l’ongle et représentant une tête de jeune fille.

Amine fit voir le portrait à ses amies ; aucune ne put lui mettre un nom : — Ce doit être quelqu’un d’honnête, pas une de nous ne la connaît, dit-elle avec cette insolence joyeuse qui la caractérisait. — Elle est blonde, à ce qu’il paraît ; des yeux bleus, l’air distingué, de la beauté ; mais tout cela fade et glacial : une de ces perfections à faire mourir d’ennui.

Quand ce fut le tour de Rudolph de regarder, un éclair de joie illumina sa pâle figure. — Ces traits, qui n’étaient pour les autres qu’une vaine image, il les