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instant, eurent débarrassé le milieu de la table.

Désobstruées du buisson de bronze et de fleurs qui les cachaient, Amine et Florence apparurent dans tout leur éclat aux bravos du reste de l’assemblée, comme deux étoiles sortant d’un nuage.

Le baron Rudolph avait fait preuve de bon goût en préférant la perspective de ces deux charmantes figures à celle d’assiettes montées et de châteaux de sucreries.

On n’aurait su trouver un contraste plus parfait qu’Amine et que Florence, séparées par un cavalier insignifiant : elles semblaient créées pour montrer qu’on pouvait arriver à une beauté égale par des moyens complétement différents.

Amine était de taille moyenne, mince et potelée à la fois. Un teint d’une exquise fraîcheur naturelle, augmentée encore par les soins d’une coquetterie consommée, faisait ressortir l’extrême délicatesse de ses traits, plus fins que réguliers. Sa bouche, d’une mignonnerie enfantine contrastant avec les paroles qui en sortaient, ses yeux de velours tout étonnés de leurs regards hardis, son petit nez à narines roses dilatées et mobiles, formaient un ensemble où la grâce de l’enfance se mêlait au piquant de la corruption. Dépravée toute jeune par un vieux chargé d’affaires d’une des petites cours du Nord, elle avait la malice d’un diable dans la peau d’un ange.

Ainsi faite, Amine passait dans ce monde pour une créature dangereuse, pour une sirène irrésistible ; — ceux qui une fois subissaient ce charme fatal ne pouvaient venir à bout de le rompre. — Dans la longue liste de ses amants, personne ne l’avait quittée, même ceux qu’elle trompait et qui le savaient.

Une robe de soie à larges raies, qu’on eût pu croire faite de rubans cousus, donnait à la mise d’Amine quelque chose de printanier et de fantasque qui lui seyait à merveille.