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Saint-Germain-des-Prés, et Calixte lui répondait par l’entremise du joueur d’orgue, qui remettait à Florence le papier écrit en encre sympathique.

Depuis quelque temps cette correspondance avait été plus active qu’à l’ordinaire. Calixte, avertie par Florence, savait qu’Henri s’était laissé entraîner dans une société dangereuse pour lui ; elle ne doutait pas de son amant, car le caractère de Calixte était d’avoir une confiance inaltérable dans l’âme qu’elle avait une fois jugée digne de la sienne ; mais elle craignait qu’on n’abusât de sa noble nature et qu’un orgueil mal entendu ne fit gauchir ses belles qualités naturelles. Elle pria donc son amie, à qui sa position permettait de suivre Dalberg dans le monde d’actrices, de roués et de viveurs où Rudolph le poussait, de le surveiller, non dans un but de jalousie mesquine, mais par une sorte de sollicitude maternelle.

Florence accepta la charge de servir de Mentor à ce Télémaque, avec recommandation sécrète de le précipiter la tête dans l’onde amère s’il s’acoquinait trop longtemps dans quelque île de Calypso.

Chaque semaine la boite de Saint-Germain-des-Prés contenait un bulletin sommaire, mais exact, de la conduite de Dalberg, qui était à mille lieues de soupçonner que, du fond de la rue de l’Abbaye, une jeune fille ne sortant jamais, excepté pour aller à l’église, sût tous les détails de son existence de lion.

Si l’on trouve cette curiosité blâmable de la part d’une jeune personne, nous répondrons qu’Henri devait être l’époux de Calixte, et que la légitimité du but sanctifiait les moyens. C’était du bonheur de leur vie qu’il s’agissait. — N’est-ce pas aussi une position bien atroce que celle des jeunes filles prisonnières dans une maison ouverte et qui ne peuvent rien savoir de ce que fait en dehors celui dont leur existence entière dépend ? Nous allons citer ici trois ou quatre