Page:Gautier - Les Roues innocents.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tions infinies. Calixte, pour rester continuellement avec son amie, était parvenue à sauter deux classes à force de travail et d’application. — Florence était fille d’un officier de marine mort de la fièvre jaune à Saint-Domingue et d’une créole accoutumée à la vie splendide des colonies et au faste des grandes habitations, qui dissipa vite le peu de fortune laissée par l’officier, de façon qu’au sortir de la pension où elle avait reçu l’éducation la plus brillante, Florence, revenue à Paris, trouva chez elle la misère du luxe, la plus triste de toutes les pauvretés. Bientôt après elle perdit sa mère et resta sans ressources ; aucune des humbles industries qui peuvent faire vivre une femme ne fut dédaignée de Florence ; mais elle était trop souverainement belle pour que l’on pût croire de sa part à un travail sérieux ; de si blanches mains ne devaient pas toucher l’aiguille, elles étaient modelées pour s’étaler, sous le scintillement des joyaux, aux rebords de velours rouges d’une loge d’avant-scène ; son outrageuse beauté la fit renvoyer de partout ; aucune maîtresse ne voulait d’elle, de peur d’être sa servante. — Elle tenta d’aborder le théâtre, car elle possédait une voix magnifique ; mais à l’Opéra comme aux scènes de vaudeville on la repoussa pour crime de perfection sans circonstance atténuante. — La nombreuse armée des laiderons était contre elle. Enfin, M. de Turqheim, attaché à la légation de Prusse, la rencontra et sut l’apprécier ; comme c’était un homme d’infiniment d’esprit, il ne se laissa pas effrayer et contracta avec elle une liaison qui dura jusqu’à la mort du diplomate, arrivée depuis un an à l’époque où se passe notre action. Aucune mauvaise langue n’aurait pu nommer le successeur de M. Turqheim.

Telle était la façon dont avait tourné l’amie de mademoiselle Calixte. Celle-ci avait toujours conservé