Page:Gautier - Les Roues innocents.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

datât de sa liaison avec Dalberg. Mais il est plus aisé de détruire des témoignages matériels, de tirer une existence de son milieu, de faire disparaître toute trace d’antériorité, que de vaincre un doute dans une âme jalouse, et Dalberg ne pouvait parvenir à rassurer Florence. Aussi, gagné par une espèce de vertige, fou de désirs, exalté par cette contradiction irritante, en était-il venu à maudire Calixte, qui trouvait le moyen de le rendre deux fois malheureux.

Un matin, Florence, de l’air le plus naturel et le plus détaché du monde, dit à Dalberg qu’ayant envoyé chercher de l’argent chez son banquier, celui-ci lui avait répondu qu’il n’avait plus de fonds.

Le banquier ne possédait plus de capitaux de Dalberg. Il ne restait plus à notre héros que des terres heureusement inaliénables et la perspective d’un héritage d’oncle très-bien portant :

Il se procura de l’argent à des taux usuraires, et s’il ne reçut pas de chameaux vivants, de crocodiles empaillés et de garniture de lit en serge d’Aumale, comme les fils de famille du temps de Molière, on lui fit accepter des lettres de change à des échéances assez courtes, et qui furent protestées faute de payement.

De ces embarras, Dalberg ne dit pas un mot à Florence, qui les ignora ou ne voulut pas les deviner, et continua ses dépenses, si bien qu’un beau matin, le soleil étant incontestablement levé et brillant dans un ciel du plus limpide azur, Henri Dalberg fut délicatement saisi par quatre individus à mines hétéroclites, à vêtements sordides, à griffes crochues, et transporté avec tous les égards possibles dans la prison pour dettes.

Dalberg, bien qu’à regret, se décida à faire connaître sa position à Florence, ne doutant pas qu’elle ne vînt aussitôt le secourir. Il lui écrivit une lettre où