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mon seul amant. N’est-ce pas une chose horrible de recevoir quelqu’un, d’écouter des paroles d’amour entre des murailles qui gardent l’écho d’une autre voix, sur des meubles où s’est reposé celui qu’il remplace ? Ne faisons-nous pas là tous deux un métier répugnant ? Qui m’eût dit que moi, Florence, j’admettrais l’amant de Calixte dans l’appartement de M. de Turqheim ?

Cette phrase de Florence fut comme une révélation pour Dalberg. — Il s’étonna de ne pas avoir eu plus tôt cette délicatesse ; et, sans en rien dire, il acheta, dans une des rues qui avoisinent les Champs-Élysées, un délicieux petit hôtel enfoui dans des massifs de fleurs et de feuillages.

Cet hôtel avait été bâti pour servir de pied-à-terre à un grand seigneur étranger qui en avait un semblable dans toutes les capitales de l’Europe. Lord W*** était mort, et ses héritiers n’avaient pas jugé à propos de conserver cette maison, qui fut payée cent mille francs par Dalberg.

Une jolie façade sculptée et couverte d’ornements dans le goût de la Renaissance souriait gaiement au soleil du midi, et détachait sa blancheur étincelante sur un fond de fraîche verdure, — La cour était petite, mais deux portes symétriquement percées donnaient aux voitures la facilité d’y tourner. Le jardin, de peu d’étendue, s’agrandissait des ombrages voisins et gagnait en perspective ce qui lui manquait en espace…

La distribution de l’hôtel était confortable au possible et ménagée avec une entente supérieure de la vie. — Deux amants ou deux jeunes époux n’auraient pu choisir un nid plus charmant pour leur bonheur.

Dalberg, aidé du plus habile tapissier de Paris, meubla son acquisition avec la plus ingénieuse recherche ; il fit de chaque pièce un chef-d’œuvre d’élé-