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distance de celui-ci, qui se retourne quelquefois pour voir s’il le suit, et qui s’arrête pour l’attendre s’il est trop loin. — L’ode est le commencement de tout, c’est l’idée ; le théâtre est la fin de tout, c’est l’action ; l’un est l’esprit, l’autre est la matière ; l’ode, c’est la musique sans libretto, le poème est la musique avec libretto, le roman c’est le libretto seul, le théâtre est la matérialisation du libretto, au moyen de toiles peintes, d’oripeaux et de quinquets. — Ce n’est que dans leur vieillesse que les sociétés ont un théâtre ; dans leur décrépitude, quand elles ne peuvent plus supporter le peu d’idéalité que le théâtre contient, elles ont la ressource du Cirque. Après les comédiens, les gladiateurs. — Après les éclats de Melpomène, les rugissements des bêtes fauves, car l’effet de toute civilisation extrême est de substituer la matière à l’esprit et la chose à l’idée. Aux premiers temps du théâtre, Théramène s’en venait piteusement faire le récit de la mort d’Hippolyte ; aujourd’hui Hippolyte mourrait sur la scène. Dans quelque temps une véritable bête dévorera réellement le héros malheureux, pour plus de vérité, et à la grande satisfaction du public.

Comme toutes les natures extrêmes, Théophile se porta au plaisir avec une ardeur excusable sans doute, mais qui lui causa bien des chagrins par la suite. Ce n’est pas que j’ajoute foi à tout ce qu’on a dit sur son compte ; je crois qu’il y a eu dans son affaire autant d’imprudence que d’autre chose, et que, somme toute, il ne valait ni plus ni moins, du côté de la morale, que les jeunes courtisans qu’il fréquentait, et a mené la vie que menaient tous les poètes de ce temps-là, commensaux de grands