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Composer un quatrain sans songer à le faire.
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Ces vers sont aussi poétiques que justes. — Le théâtre exclut absolument la fantaisie. — Les idées bizarres y sont trop en relief, et les quinquets jettent un jour trop vif sur les frêles créatures de l’imagination. Les pages d’un livre sont plus complaisantes ; le fantôme impalpable de l’idée se dresse silencieusement devant le lecteur, qui ne le voit que des yeux de l’âme. Au théâtre, l’idée est matérielle, on la touche au doigt dans la personne de l’acteur ; l’idée met du plâtre et du rouge, elle porte une perruque, elle se passe un bouchon brûlé sur les sourcils pour se les rendre plus noirs, elle est là sur ses talons, près du trou du souffleur, tendant l’oreille et faisant la grosse voix. — Cela est si ridicule à voir, que je m’étonne beaucoup que l’on n’éclate pas de rire dès la première scène de toute tragédie quelconque : il faut y avoir été habitué de longue main pour supporter un pareil spectacle. Aussi, tout ce qui s’écarte le moins du monde d’un certain nombre de situations et de paroles convenues vous paraît-il étrangement monstrueux ; c’est ce qui fait que l’innovation au théâtre est la plus difficile et la plus dangereuse de toutes ; presque toujours la scène neuve fait tomber une pièce, il n’y a d’exemple qu’une situation banale ait compromis un succès. — Dans toute rénovation littéraire, le théâtre est toujours l’arrière-garde : l’ode ouvre la marche, donnant la main au poème, son frère cadet ; le roman vient ensuite ; le théâtre se traîne à pas inégaux, non passibus æquis, à quelque