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contemplateurs pour être capables d’une telle persévérance. Pendant tout ce temps, le loyal et pudicque Scalion de Virbluneau n’eut d’autres mets pour alimenter son amour que quelques baisers sur la main ou sur la joue, et tels autres menus suffrages ; encore chaque baiser lui coûte dix ou douze sonnets où il crie pitié et merci, et demande pardon de tant d’audace :


Je blasme, malheureux, mon infélicité
De vous estre blessée, et faillir l’entreprise
De vous baiser sans plus une fois par surprise,
Quand à la cheminée eustes du front heurté.

Malheureux, dis-je alors, le ciel est irrité
Contre moi, puisqu’ainsi mes vœux ne favorise ;
J’estimois que ma main tenant la vôtre prise,
Pourroit à mon desseing donner commodité.

Et pour un tel meschef je vous supply de croire
Que depuis n’a esté sans regretz ma mémoire :
Si vous faisiez ainsi du moindre de mes maux,

Je croiray de sortir de ma peine et souffrance,
Et selon mon service avoir la récompense,
Telle qu’ont mérité mes amoureux travaux.


Il souhaite d’être un gant, afin de pouvoir toucher la main de sa déesse :


Ah ! main qui doucement me déchirez le cœur,
Et qui tenez ma vie en l’amoureux cordage ;
Main où nature veult montrer ton bel ouvrage,
Et où le ciel versa sa bénigne faveur.

Las ! au lieu de ce gand qui reçoit tant d’honneur,
Que d’embrasser ce qui m’enflamme le courage,
Permettes qu’à présent j’aye cet avantage
Que d’estre gardien d’une telle valeur.