Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Scalion de Virbluneau est à moi ; c’est mon bien, c’est ma propriété, c’est ma chose, mon Amérique découverte ; j’y plante le piquet et j’en prends possession solennellement et aux yeux de tous. — C’est mon mort, je le couve des yeux, comme le bon curé de La Fontaine : que personne n’y touche, ou je crie : « Au voleur ! au voleur ! » bien mieux et plus fort que le marquis de Mascarille. — Moi, hyène littéraire, qui m’en vais déterrant des cadavres de poëtes, je l’ai flairé et deviné à l’odeur putride qu’il exhalait sous une triple couche de bouquins insignifiants ; j’ai tant gratté, tant travaillé avec mes pattes de devant et de derrière, que je suis parvenu à le déblayer. — Ce n’était pas une petite opération : il était tellement enfoui entre un Tableau de l’Amour conjugal, du docteur Venette, et une Malvina, de madame Cottin, qu’à peine lui voyait-on le bout du nez. — Pauvre Scalion, tu as bien manqué de rester à tout jamais dans la poudreuse obscurité où tu croupissais chez un ignoble bouquiniste.

Par un accident très-rare, j’avais ce jour-là de l’argent sur moi, et moyennant vingt sous donnés au gardien de cette Nécropolis intellectuelle, j’ai emporté mon Scalion dans ma bibliothèque, tout glorieux, tout grondant, tout hérissé. Vraiment, c’est qu’il est rare de rencontrer un auteur imprimé aussi profondément inconnu que Scalion de Virbluneau. On trouverait à peine un nom plus ignoré parmi les poëtes contemporains, et pourtant le sieur d’Ofayel vaut bien que l’on fasse connaissance avec lui.

— Quant à l’extérieur physique, s’il n’est pas des plus