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veaux venus, tout prêt à les rosser d’importance s’ils ne veulent pas payer leur écot, et les engageant à revenir s’ils sont satisfaits. Au premier plan, la divinité du temple enluminée, attifée, enrubannée et chargée de clinquant, dans la grande tenue de l’état. — Un Téniers du meilleur temps, que Mathurin, le grand poëte, n’a pas dédaigné, qu’il a restauré, retouché et encadré dans son magnifique alexandrin, qui d’un côté touche à Ronsard et de l’autre à Corneille. Ce qui sanctifie ce tableau impur, ce sont les deux vers sombres et désespérés qui en sont comme la dernière touche :


Ordure avons, et ordure nous suyt ;
Nous defuyons l’honneur, et il nous fuyt.


Le pauvre écolier Villon n’a pas eu, s’il faut l’en croire, et l’on peut l’en croire, car tout homme aime à se vanter en de pareils sujets, beaucoup de bonheur en amour, et la chose n’est pas étonnante ; il logeait le diable dans sa bourse, si toutefois il en avait une ; il n’était rien moins que joli garçon ; il était maigre et sec comme un pendu d’été, avait le teint aussi noir qu’une mûre, ou qu’un balai à nettoyer les fours ; il n’avait ni cheveux, ni barbe, ni sourcils, non plus qu’un navet qu’on pèle : ce sont ses propres expressions. Quoiqu’il n’eût guère que trente ans, il paraissait vieux, usé et limé qu’il était jusqu’à la corde, par les excès et les privations de tout genre. Ce ne devait pas faire un très-agréable damoiseau. Aussi ses lamentations sont-elles fort comiques ; il se dit martyr d’amour ; il se compose une seconde épitaphe où il se prétend mis à mort par une des flèches de Cupidon.