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dait aussi que dans la rue des Douze-Portes il y avait douze coureuses, en ne comptant les deux mesdemoiselles Scarron que pour une : cette pauvre rue du Marais n’est plus aussi gaillarde aujourd’hui, et la vertu y règne sur des murailles moisies.

Quoique perclus de tous ses membres, Scarron avait l’imagination vive. La lecture des auteurs espagnols dont il se nourrissait (car il possédait fort bien le castillan), lui remplissait la tête d’aventures romanesques. Madaillan, un de ses amis, résolut de le mystifier ; il lui écrivit des lettres sous un nom de femme, et lui assigna quelques rendez-vous où le pauvre diable se fit porter en chaise, la seule manière de se mouvoir qui fût à sa disposition ; il est bien entendu qu’il n’y trouva personne, et il comprit qu’on lui avait joué un tour ; une correspondance poétique avait préalablement été établie entre la dame mystérieuse et le galant paralytique, qui lui adressa, entre autres, une épître en vers dont voici le commencement :


Vous voyez, ô dame inconnue,
Par ma procédure ingénue
Et par ma ponctualité
À faire votre volonté,
Que je tâche au moins de vous plaire.
Vous m’avez ordonné de faire
Des vers. Eh bien ! je vous en fais.
Recevez-les, bons ou mauvais,
D’aussi bon cœur que je les donne
À votre invisible personne.


Il eut beaucoup de peine à pardonner ce bon tour à Madaillan, de qui il ne parlait qu’avec grosses injures, et il lui en voulut longtemps. Cependant il n’avait été dupe