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solennelle de cette ville, où chaque pierre éveille un souvenir, où le passé écrase le présent de tout son poids, ne fit aucune impression sur le jeune Scarron ; le pittoresque n’était pas son fort. Il vit la cité des Césars du même œil que Saint-Amant, qui, lui pourtant, avait à un haut degré le sentiment des merveilles de l’art et de la nature. Il en revint tout aussi mondain qu’il était parti, et sa vocation ecclésiastique ne paraît pas s’être augmentée à voir de près le pape, les cardinaux et les moines.

Scarron ne fut pas toujours ce goutteux, ce cul-de-jatte ce paralytique à la poitrine concave, au dos convexe, que l’on voit grimacer sur le frontispice de ses œuvres. Dans une épître au lecteur qui ne l’a jamais vu, voici comme il parle de son état passé et de son état présent :

« Lecteur, qui ne m’as jamais vu et ne t’en soucies guère, à cause qu’il n’y a pas beaucoup à profiter à la vue d’une personne faite comme moi, sache que je ne me soucierais pas que tu me visses, si je n’avais appris que certains beaux esprits facétieux se réjouissent aux dépens du misérable, et me dépeignent d’une autre façon que je ne suis fait. Les uns disent que je suis cul-de-jatte ; les autres, que je n’ai point de cuisses, et que l’on me met sur une table dans un étui, où je cause comme une pie borgne ; et les autres, que mon chapeau tient à une corde qui passe dans une poulie, et que je le hausse et le baisse pour saluer ceux qui me visitent. Je pense être obligé, en conscience, de les empêcher de mentir plus longtemps, et c’est pour cela que j’ai fait faire la planche que tu vois au commencement de mon livre. Tu murmureras sans doute, car tout lecteur murmure, et je