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Lyon ; que voilà une hôtellerie, et que voici un jeu de paume où des comédiens qui ne sont point eux, et lesquels ils sont pourtant, représentent une pastorale. Comment diable ajouter foi à de semblables billevesées ! On prétend qu’il est, lui, un certain monsieur de Blandimare, bien qu’il s’appelle véritablement Mondory, et ses compagnons ont tous pris des noms de guerre, Belleombre, Beauséjour, Beausoleil, comme si le public ne les connaissait pas, et ne savait point qu’ils sont les comédiens de l’hôtel de Bourgogne, et non une troupe de province. Pour lui, il s’en lave les mains, et prie le public d’excuser une pareille fantaisie, et de se tenir coi, attendu que ces messieurs étant mélancoliques, sont fort amateurs du silence.

La scène représente l’entrée de la comédie. Deux affiches aussi démesurées que les affiches d’une représentation à bénéfice moderne, sont collées de chaque côté de la porte. Belleombre, le portier de la comédie, avec un sombrero à l’espagnole, des moustaches en croc, une royale en feuille d’artichaut, les souliers chargés de bouffettes extravagantes, un manteau capricieusement tortillé autour du corps, la main posée sur la garde d’un espadon colossal qui a dû servir au géant Goliath, et qui ressemble à l’épée symbolique ques les peintres prêtent à saint Paul, le pied en avant et fièrement campé sur ses reins, attend dans une attitude stoïque et solennelle le bon public qui ne se dépêche guère d’arriver. — Si cela continue ainsi, il sera forcé, bien malgré lui, de faire mentir le proverbe : qui dit portier de comédie dit voleur ; car, si passé maître que l’on soit en l’art de la pince et du croc,