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tournée, où la décoration est à l’envers, et qui fait voir le comédien par le dos, le spectateur étant en quelque sorte placé au fond du théâtre.

Cette production singulière a pour titre la Comédie des Comédiens.

Entre tant de personnages historiques ou fabuleux, déplorables ou risibles, qui s’agitent sur la grande scène du monde et que le caprice du premier grimaud expose à être transformés subitement tout vifs en héros dramatiques sans qu’ils aient rien à dire, il est une classe de gens que leur profession même semble mettre expressément à l’abri d’un pareil malheur. — C’est une idée qui vous vient difficilement qu’un croquemort soit enterré ou qu’un bourreau soit pendu, et pour la même raison il paraît étrange qu’un comédien se joue lui-même, lui qui a l’habitude de jouer les autres. — Pourtant il y a quelque chose de piquant à voir un acteur, un homme qui n’exprime que des pensées étrangères aux siennes, qui vit de l’amour et de la passion qu’on lui fait, qui n’a pas un soupir qui ne soit noté d’avance, pas un mouvement qui ne soit artificiel, exprimer cette fois ses idées à lui, ses idées de tous les jours, et parler un peu de ses affaires de ménage, de sa marmite, de ses amours, de sa femme et de ses enfants légitimes ; lui qui a tant fait de déclarations à de belles princesses sous des ombrages de papier découpé, et qui a si misérablement sali son unique culotte de soie en se traînant à genoux sur des tapis de toile peinte ; il est beau de voir battre par sa ménagère ce libertin fieffé qui a contracté tant de mariages secrets, et qui presque tous les soirs, à la fin de la pièce, est obligé