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un morceau de couenne rance qu’il a dérobé dans une souricière. Ses grègues sont faites avec une thèse de satin, et sa rapière a servi autrefois de broche. Cette misère n’empêche pas qu’il se croie le vrai mignon des Muses, l’enfant chéri d’Apollon, le favori des rois et des belles, et qu’il ne promette gravement l’immortalité à tous ceux qui voudront le laisser dîner à la table de leurs marmitons et coucher au chenil ou à l’écurie. — Le fanfaron n’est pas moins amusant avec sa tournure cambrée comme les grotesques de Callot, le pied en avant, la main sur la hanche, la tête renversée en arrière, son incommensurable rapière ornée d’une non moins incommensurable coquille, son panache excessif et prodigieux, sa moustache titanique et éventrant le ciel de ses deux crocs pointus. — Et lorsque, à l’exemple de Scudéry, il mêle des prétentions littéraires à toute bravacherie, il faut indispensablement se faire cercler les côtes pour ne pas éclater de rire. Écoutez-le ; comme il traite la poésie par-dessous la jambe d’un air superlatif et grandiose : « Je ne suis qu’un soldat ; je m’entends mieux à quarrer des bataillons que des périodes, et j’ai usé plus de mèches d’arquebuse que de mèches de chandelles ; je sais manier l’épée autrement que la plume et c’est plutôt sur le champ de bataille que sur ce pré de papier blanc que l’on peut juger de ma valeur. Ce petit ouvrage que le lecteur ne peut manquer de trouver admirable, car les plus gens de bien du monde en ont jugé ainsi, je l’ai fait par manière de fantaisie et de passe-temps, et non pour en tirer aucun profit, de sorte que j’ai donné aux comédiens ce que j’aurois pu leur vendre… » Et mille autres belles vanteries. — Et les