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le pendu, dans tous ses aspects, profils et perspectives, lui est singulièrement familier. Colin de Cayeux et René de Montigny, ses camarades, avaient eu la maladresse de se laisser mourir longitudinalement, comme il appert par une des ballades du jargon, et lui-même ne pouvait guère s’attendre à trépasser en travers. Il me semble le voir, maigre, hâve et déguenillé, tourner autour du gibet comme autour du centre où doit aboutir sa vie, et contempler piteusement ses bons amis faisant l’I et tirant la langue, le tout pour s’être allés esbattre à Ruel. Remarquez le mot, quel euphémisme ! esbattre. Que diable faisaient donc ces gens-là quand ils travaillaient sérieusement, puisqu’on les cravatait de chanvre seulement pour s’être amusés ? Les jeux de Villon étaient piperies, voleries, repues franches dans les bons lieux et autres, batailles avec le guet et les bourgeois, un pareil homme ne pouvait s’amuser à moins. Dans ses vers, cependant, il s’érige en donneur de conseils et fait le moraliste :


À vous parle compaings de galles[1],
Mal des âmes et bien des corps ;
Gardez-vous bien de ce mau hasles
Qui noircit gens quand ilz sont morts,


dit-il, après une homélie admirable qu’il adresse à tous les débauchés, voleurs et autres honnêtes gens. Faites attention, je vous prie, à cette expression, le mauvais hâle qui noircit les gens quand ils sont morts : comme cela est profondément observé, et comme l’auteur possède le sujet dont il parle ! La tournure, du reste, est

  1. Débauches.