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voulut auparavant en faire lecture à Malherbe et à Vaugelas, afin d’avoir leur avis. Ceux-ci le prièrent de leur permettre de faire venir un jeune homme très-expert en matière de vers, qui savait l’italien aussi bien qu’eux et n’avait point d’égal sur la poétique. — La lecture achevée, Chapelain dit que le sujet était mal choisi, essentiellement vicieux, et que la fable était conduite d’une manière contraire aux véritables règles, mais que beaucoup d’endroits étaient fort galamment et fort vivement touchés, que la finesse des pointes et l’éclat des ornements déguisaient les défauts sensibles pour les seuls connaisseurs, et qu’à l’aide d’une préface spécieusement arrangée on pourrait dissimuler ces fautes et jeter de la poudre aux yeux du public ; que, de cette façon, l’ouvrage se débiterait et aurait de la vogue ; il parla si pertinemment et montra une connaissance si approfondie de ces matières, qu’on le supplia de faire cette préface lui-même, personne n’étant capable de s’en acquitter aussi bien que lui ; il résista longtemps et finit cependant par se décider à l’écrire. — Cette préface fit grand bruit parmi les savants et les gens du monde pour les nouveautés qu’elle renfermait, et ce fut elle qui commença la réputation de Chapelain, qui, dès lors, passa pour grand connaisseur et devint l’arbitre souverain pour les choses de goût.

Cette dissertation qui parut en 1623, le fit connaître au grand Armand, qui conçut tout d’abord une haute estime pour son talent, et qui lui trouvant beaucoup de sagacité et d’usage du monde, le voulut employer en des négociations diplomatiques, ce dont il se défendit avec une mo-