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deniers comptants. Un vers, un écu : voilà son tarif. — C’est cher ! — Pas trop pourtant pour un homme à qui l’on en avait payé cent francs la pièce.

Cependant il est permis de croire qu’il n’en vendait pas beaucoup ou qu’il n’en vendait pas souvent, car en plusieurs endroits de ses ouvrages il se plaint de manquer d’argent et il se lamente sur sa destinée. Ainsi, dans des vers intitulés Disgrâces, adressés à Colletet, son fils, il se montre fort alarmé de la dépense qu’on fait chez lui pendant la maladie de sa femme.


Mon fils, veux-tu savoir l’état de mes affaires ?
Trois savants médecins et deux apothicaires,
Faisant souffrir ma femme, agissent contre moi,
Puisque leurs recipés, en forme d’ordonnances,
Espuisent mes finances,
Qui ne sont pas les finances d’un roy.
Dans cet excès d’inquiétude,
Qui rend mon pauvre esprit incapable d’estude,
Je vois toujours chez moi trois grands feux allumez ;
Et la garde qui veille, et qui veille à ma perte.
Cependant que la nuit me tient les yeux fermez
A pour tarir mon vin toujours la bouche ouverte.


La touche de ce morceau est assez fine ; elle rappelle certains tableaux burlesques de l’école flamande où, pendant que l’hôtellier dort, quelque joyeux compagnon boit le vin de son vidrecome et met la main dans la gorge de sa femme. — Un trait d’un bourgeois admirable est celui-ci.


Je vols toujours chez moi trois grands feux allumez.


Le vers est d’un piteux et d’un solennel on ne peut