Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cette nombreuse famille qui renferme le plus de rencontres de ce genre ; et cependant, chose surprenante ! le pauvre escolier Villon n’est guère connu que par ces deux vers assez ridicules de Boileau Despréaux :


Villon sut le premier, dans ces siècles grossiers,
Débrouiller l’art confus de nos vieux romanciers.


Il est probable que Boileau ne se doutait pas le moins du monde de ce qu’était Villon et n’en avait pas lu un seul vers. — Certainement le poëte très-peu voluptueux de Sa Majesté très-chrétienne ne les eût pas trouvés de son goût, lui dont les oreilles s’alarmaient janséniquement au son hardi des rimes cyniques du brave poëte Mathurin Régnier.

Villon, qui, d’après Boileau, a débrouillé l’art confus de nos vieux romanciers, n’a pas fait un seul roman, ni quoi que ce soit qui y ressemble ; c’est un esprit satirique, un poëte philosophe, dont Marot et Régnier ont exploité chacun une veine différente, mais ce n’est assurément pas un romancier. — Ce distique, et deux ou trois autres à peu près de même force, imperturbablement répétés, sont devenus axiomes, et c’est là-dessus que beaucoup de personnes, d’ailleurs fort instruites, jugent notre ancienne littérature.

Depuis l’Art poétique de Boileau, la critique a fait bien du chemin ; on ne se contente plus à si peu de frais, et l’on n’en finit pas avec un auteur au moyen d’un vers formulé eu manière de proverbe : mais la critique a, selon nous, ce tort immense de ne s’attacher qu’aux réputations toutes faites et qui ne sont contestées de personne.