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le roi l’y eût envoyé en si bonne compagnie que les Turcs ne l’eussent pas pris.

Corbinelli.

Notre domine ne songe pas que les Turcs me dévoreront.

Paquier.

Vous êtes à l’abri de ce côté-là : les mahométans ne mangent point de porc.

Granger.

Tiens, va-t’en ! emporte tout mon bien.


Ne trouvez-vous pas que c’est abuser bien étrangement du privilège des hommes de génie ? Cette scène n’est pas la seule que Molière ait prise à Cyrano : la scène si plaisante des Fourberies de Scapin, où la rieuse Zerbinette raconte à Géronte le stratagème employé pour lui soulever de l’argent, est toute entière dans le même Pédant joué ; elle est encore plus textuellement copiée que l’autre, et tout s’y retrouve, jusqu’à l’interminable ha ha ha, hi hi hi de l’égrillarde aventurière. Je ne sais pas ce qu’ont dû dire les Granier-Cassagnac du temps. Ce Pédant joué est, entre autres singularités, la première comédie écrite en prose et où un paysan parle son jargon. — Ce n’est pas le seul emprunt que des hommes d’une très-haute réputation aient fait à l’obscur Cyrano de Bergerac : son Voyage à la lune et son Histoire comique des états empires du soleil ont donné à Fontenelle l’idée de ses mondes, à Voltaire celle de Micromégas, à Swift celle de Gulliver, et peut-être à Montgolfier l’idée des ballons ; car, entres autres moyens pour aller dans la lune ou le soleil, Cyrano donne celui-ci ; savoir : « de remplir un globe creux et très-mince d’un air très-subtil ou d’une