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bera entre les mains je le leur renvoyerai pour rien. — Ah ! que diable, que diable aller faire en cette galère ! — Ou dis-leur qu’autrement je vais m’en plaindre à la justice. Sitôt qu’ils l’auront remis en liberté, ne vous amusez ni l’un ni l’autre, car j’ai affaire de vous.

Corbinelli.

Tout cela s’appelle dormir les yeux ouverts.

Granger.

Mon Dieu ! faut-il être ruiné à l’âge où je suis ! Va-t’en avec Paquier, prends le reste du teston que je lui donnai pour la dépense il n’y a que huit jours (aller sans dessein dans une galère !) ; prends tout le reliquat de celle pièce. — Ah ! malheureuse géniture tu me coûtes plus d’or que tu n’es pesant ! — Paye la rançon, et ce qui restera emploie-le en œuvres pies. — Dans la galère d’un Turc ! — Bien, va-t’en. — Mais, misérable ! dis-moi, que diable allois-tu faire dans cette galère ? Va prendre dans mes armoires ce pourpoint découpé que quitta feu mon père l’année du grand hiver.

Corbinelli.

À quoi bon toutes ces fariboles ? vous n’y êtes pas ; il faut tout au moins cent pistoles pour sa rançon.

Granger.

Cent pistoles ! Ah !… mon fils, ne tient-il qu’à ma vie pour conserver la tienne ! mais cent pistoles !… Corbinelli, va-t’en lui dire qu’il se laisse prendre sans dire mot ; cependant qu’il ne s’afflige pas, car je les en ferai bien repentir.

Corbinelli.

Mademoiselle Genevotte n’étoit pas trop sotte, qui se refusoit tantôt de vous épouser, sur ce que l’on assuroit que vous seriez d’humeur, quand elle seroit esclave en Turquie, de l’y laisser.

Granger.

Je les ferai mentir. — S’en aller dans la galère d’un Turc ! Eh ! quoi faire, de par tous les diables, dans cette galère ?… galère ! galère ! tu mets bien ma bourse aux galères !

Paquier.

Voilà ce que c’est que d’aller aux galères ! Qui diable le pressoit ? Peut-être que, s’il eût eu la patience d’attendre encore huit jours,