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médailles, voyez les portraits ; vous trouverez que les héros ont le nez proportionné à la grandeur de leur gloire et qu’il n’y en a point de punais. Ce qui fait que les nègres sont en général stupides, ce n’est pas qu’ils aient le crâne écrasé, le crâne n’y fait rien ; c’est qu’ils sont aussi camards que la mort elle-même. Les éléphants, qui ont de l’intelligence à faire rougir bien des poètes, ne doivent cet esprit qu’on leur voit qu’à la prodigieuse extension de leur nez ; — car leur trompe est un véritable nez de cinq ou six pieds de long. — Excusez du peu !

Cette nasologie pourra fort bien ne pas paraître très à sa place au commencement d’un article de critique littéraire ; — mais en ouvrant le premier volume de Bergerac, où se voit son portrait en taille douce, la dimension gigantesque et la forme singulière de son nez m’ont tellement sauté aux yeux que je m’y suis arrêté plus longtemps que la chose ne valait, et que je me suis laissé aller à ces profondes réflexions que l’on vient de lire et à beaucoup d’autres dont je fais grâce au lecteur.

Ce nez invraisemblable se prélasse dans une figure de trois-quarts dont il couvre entièrement le petit côté ; il forme, sur le milieu, une montagne qui me paraît devoir être, après l’Hymalaya, la plus haute montagne du monde ; puis il se précipite vers la bouche, qu’il obombre largement, comme une trompe de tapir ou un rostre d’oiseau de proie ; tout à fait à l’extrémité, il est séparé en deux portions par un filet assez semblable, quoique plus prononcé, au sillon qui coupe la lèvre de cerise d’Anne d’Autriche, la Manche reine aux longues mains d’ivoire. Cela fait comme deux nez distincts dans