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paroles, si toutefois il se trouve quelque curiosité de connaître précisément de la physionomie d’un auteur décrié et tombé dans l’oubli le plus profond, — ce qui est au moins douteux.

Saint-Amant, quoique bon ivrogne, n’est cependant pas exclusivement un poète bachique à la façon de Panard, de Désaugiers et des membres du Caveau. Son haleine est plus longue que le couplet d’une chanson à boire, et il a souvent un beau souffle lyrique. — Sa Solitude, qui a été imprimée un très-grand nombre de fois et traduite en vers latins, est une très-belle chose et de la plus étrange nouveauté pour l’époque où elle parut ; elle contient en germe presque toute la révolution littéraire qui éclata plus tard. La nature y est étudiée immédiatement et non à travers les œuvres des maîtres antérieurs. Vous ne trouverez rien dans les poètes dits classiques de ce temps qui ait cette fraîcheur de coloris, cette transparence de lumière, cette rêverie flottante et mélancolique, cette manière calme et douce qui donnent un si grand charme à l’ode sur la Solitude. — Le poète se promène en un lieu écarté, où n’arrive pas le bruit du monde, et il décrit ce qu’il voit, non à la façon sèche et géométrique de l’abbé Delille, mais avec une liberté et une finesse de touche, avec un sentiment qui sentent leur grand maître ; il n’est guère possible de faire mieux dans le genre pittoresque. — Ce sont de grands arbres qui se sont trouvés à la naissance du temps, et qui semblent encore jeunes, tant leur feuillage est vert, tant leur ombre est humide et fraîche ; ils font aller doucement leurs têtes en écoutant les fioritures du rossignol comme des