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intitulé la Lune parlante, et sur lequel il avait fondé de grandes espérances, fut la cause de sa mort. Cela n’est guère croyable ; il faut être Kirke-White ou Keats, c’est-à-dire être excessivement naïf, et n’avoir pas plus de vingt ans pour mourir de ces choses-là. Les vieux auteurs n’ont point une sensibilité tellement maladive, si chatouilleuse que soit d’ailleurs leur vanité de poète, et Saint-Amant était loin d’en être à ses débuts, car il avait alors quelque soixante-sept ans.

Maintenant, pour achever de peindre le côté physique et matériel du poète, après avoir conté sa vie et sa mort, il nous reste à faire son portrait. Cela n’est pas difficile et se peut achever en deux traits. Saint-Amant était gros, gras, court, les yeux doux, le teint frais, les cheveux blonds et frisés comme un gros comte allemand, la face épanouie, la bouche vermeille et la moustache en croc. — Quelque peu cousin de Falstaff, et préférant d’ailleurs un broc de claret à toutes les Philis de la terre, il s’appelle lui-même et à plusieurs reprises le bon gros Saint-Amant, le bedon, le muids, le tonneau, et autres tels sobriquets qui ne conviennent guère à un poète mort de faim. — Son embonpoint était devenu en quelque sorte proverbial dans la société qu’il fréquentait. — Mais, quoiqu’il fût gros et gras, il n’était point bête : loin de là. — Ce lansquenet de Terburg, qui boit chez une courtisane dans un vidrecome démesuré, peut donner à notre lecteur ou à nos lecteurs, car nous aimons à croire que nous en aurons plus d’un, une idée parfaitement juste de la figure et du costume de notre poète. — Un coup d’œil sur le tableau lui en apprendra plus que toutes nos