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dreuses se pendent avec leurs doubles crochets au tronc de chaque phrase comme des plantes grimpantes avec leurs vrilles. Les rébus et les concetti s’entrecroisent inextricablement. Parmi les hyperboles et les jeux de mots, sautent, comme des crapauds, des adjectifs bouffis et coassants. Les antithèses se choquent à coups de tête comme les boucs des bas-reliefs antiques. Les plus simples fleurs de rhétorique prennent une dimension monstrueuse, ainsi que les fleurs de l’île de Java, et répandent un parfum étrange qui porte à la tête comme l’assa fœtida ; la moindre efflorescence de langage y devient sur-le-champ agaric ou champignon. Chaque mot vous tire la langue, vous fait la moue et vous regarde avec des yeux de basilic, et, jusqu’aux simples particules, tout y a l’air louche et venimeux. Les objets vus à ce prisme ont un aspect des plus extraordinaires. Le lieu de la scène est on ne peut plus étrange : ce sont des rochers barbus et chassieux qui font suer de grosses larmes de leurs yeux de pierre, de grands arbres centenaires et chenus qui se haussent contre le ciel comme des titans, et accrochent au passage les nues floconneuses ; des buissons qui cherchent à vous blesser de leurs mille poignards, ou rampent hideusement comme des scolopendres ou des serpents ; une source obscure et miroitante, moitié eau, moitié pleurs, défigure les formes qu’elle réfléchit et les change en spectres ou en figures grimaçantes. La Magdelaine est là, toute nue, n’ayant pour voile que ses cheveux qui rampent jusqu’à ses talons comme autant de couleuvres. Sa main repose sur un crâne ras que les larmes que ses yeux distillent incessamment ont rendu