Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la compara au soleil et à la lune, et célébra ses perfections en sonnets acrostiches ; il fit plus de mille fois l’anagramme de ce nom dont il avait l’imaginative si doucement blessée ; il en composait jusqu’à trois douzaines par jour, qu’il allait porter lui-même, en sorte que le nom de Magdelaine est incontestablement, de tous les noms du monde, celui qui a été le plus tourné et retourné.

Ludovic avait besoin de faire des anagrammes. Il n’était pas précisément beau : il avait la tête énorme, la taille ramassée ; il était bossu, les uns disent par devant, les autres par derrière, quelques-uns disent par derrière et par devant ; son nez était taillé de façon que, n’était la place qu’il occupait, on l’aurait pris pour tout autre chose ; la seule partie qu’il eût de bien, c’étaient ses yeux, qui étaient grands et doux. Ainsi fait, Ludovic parvint néanmoins à se faire aimer, tant l’amour vrai est contagieux ; et il était près d’obtenir la main de sa maîtresse quand celle-ci tomba malade de la petite-vérole et mourut en 1651 : cette mort décida de la vie de Ludovic ; il ne pouvait rester dans un monde d’où ses amours s’en étaient allés, et il résolut d’entrer en religion. — En ce temps-là c’était la ressource de toutes les grandes douleurs : un couvent était le port où venaient aborder les naufragés du monde et ceux qui ne voulaient pas se consoler parce que leurs amours n’étaient plus. Maintenant l’on s’asphyxie ou l’on se fait sauter. — Quelques jours avant sa maladie, sa maîtresse lui avait donné un scapulaire en souvenir d’elle, don chaste et simple d’une pure tendresse : il crut voir là-dedans un avertis-