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fort longtemps. À génie égal, un moderne aurait toujours le désavantage avec un ancien ; car il ne pourrait s’empêcher de savoir, sinon précisément, du moins confusément, tout ce qui a été dit avant lui sur la matière qu’il traite, et, malgré tout le bon goût, toute la sobriété possibles, il tombera dans des tours plus recherchés, dans des comparaisons plus bizarres, dans des détails plus minutieux, par le besoin instinctif d’échapper aux redites, et de trouver quelque nouveauté de fond ou de forme. Certainement l’Aurore aux doigts de rose est une image charmante, mais un poëte de notre siècle serait forcé de chercher quelque chose de moins primitif s’il avait à décrire le lever du jour.

Les grands esprits qui ne sont touchés que du beau, n’ont pas cette préoccupation du neuf qui tourmente les cerveaux inférieurs. Ils ne craignent pas de s’exercer sur une idée connue, générale, appartenant à tous, sachant qu’elle n’appartient plus qu’à eux seuls dès qu’ils y ont apposé le sceau de leur style. — La nature, d’ailleurs, ne s’inquiète guère d’être originale, et l’univers, depuis le jour de la création, n’est qu’une perpétuelle redite ; — jamais les arbres verts n’ont essayé d’être bleus.

Cependant, en dehors des compositions que l’on