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Ce Liban, ce turban, et ces rivières mornes
Ont souvent de la peine à retrouver leurs bornes,
Cet effort tient leur sens dans la confusion,
Ils n’ont jamais un rais de bonne vision.
J’en cognois qui ne font des vers qu’à la moderne,
Qui cherchent à midi Phœbus à la lanterne,
Grattent tant le françois qu’ils le déchirent tout,
Blasmant tout ce qui n’est facile qu’à leur goût ;
Sont un mois à cognoistre, en tastant, la parole ;
Lorsque l’accent est rude ou que la rime est molle,
Veulent persuader que ce qu’ils font est beau,
Et que leur renommée est franche du tombeau,
Sans autre fondement, sinon que tout leur âge
S’est laissé consommer en un petit ouvrage ;
Que leurs vers dureront au monde précieux.
Pour ce qu’en les faisant ils sont devenus vieux.
De même l’araignée en filant sans ordure
Use toute sa vie et ne fait rien qui dure.


Il semble, à propos de cette tirade, que Boileau s’en est un peu trop souvenu quand il a dit :


Dans des vers recousus mettre en pièces Malherbe.
..................
N’avons-nous pas, cent fois, en faveur de la France,
Comme lui, dans nos vers, pris Memphis et Bysance,
Sur les bords de l’Ëuphrate abattu le turban,
Et coupé, pour rimer, les cèdres du Liban ?


Ces vers (ceux de Théophile) sont aussi justes que spirituels : le tour est net, aisé, et ils sont d’un goût irréprochable. Il est impossible de critiquer plus finement les travers de Malherbe tout en ayant l’air de ne s’en prendre qu’à ses imitateurs ; de plus, il nous fait voir que la dispute des littérateurs difficiles contre les faciles, de grammairiens contre les poètes, existait déjà de ce temps ;