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cette façon d’usurper les termes obscurs et impropres, les uns barbarie et rudesse d’esprit, les autres suffisance et pédanterie. Pour moy, je crois que c’est un respect et une passion que Ronsard avoit pour ces anciens, à trouver excellent tout ce qui venoit d’eux, et chercher de la gloire de les imiter partout ; je sçay qu’un prélat homme de bien est imitable à tout le monde : il faut être chaste, comme lui charitable et sçavant qui peut ; mais un courtisan, pour imiter sa vertu, n’a que faire de prendre ni le vivre ni les habillements à sa sorte ; il faut, comme Homère, faire bien une description, mais non point par ses termes et avec ses épithètes ; il faut écrire comme il a écrit, mais non pas ce qu’il a écrit. C’est une dévotion louable et digne d’une belle âme que d’invoquer au commencement d’une œuvre des puissances souveraines. Mais les chrétiens n’ont que faire d’Apollon ni des Muses, et nos vers d’aujourd’hui, qui ne se chantent pas sur la lyre, ne se doivent point nommer lyriques, non plus que les autres héroïques, puisque nous ne sommes plus au temps des héros, et toutes ces singeries ne sont ny du plaisir ny du profit d’un bon entendement. Il est vrai que le dégoût de ces superfluités nous a fait naître un autre vice ; car les esprits foibles que l’amorce du pillage avait jetés dans le mestier des poètes, de la discrétion qu’ils ont eu d’éviter les extrêmes redites, déjà rebattues par tant de siècles, se sont trouvés dans une grande stérilité, et n’estant pas d’eux-mêmes assez vigoureux ou assez adroits pour se servir des objets qui se présentent à l’imagination, n’ont cru qu’il n’y avoit rien dans la poésie que matière de prose, et se sont persuadé que les figures n’en étaient