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il n’y avait au monde qu’un pays pour les Français, et c’était la France, — et encore il n’y avait que Paris qui fût la véritable France, — Paris, et surtout la cour. L’expression employée par Théophile est plus caractéristique qu’on ne pense ; il dit : le doux climat de la cour ; et, en effet, pour toute cette noblesse, la cour était un pays particulier, un climat spécial et fait pour elle, une atmosphère hors de laquelle elle ne pouvait plus vivre, non plus que les poissons hors de l’eau. La vue du roi lui est plus nécessaire que la vue du soleil ; toute sa vie se passe à guetter un coup d’œil du roi, un mot du roi la rend folle. Que dit le roi ? que fait le roi ? où est le roi ? le roi a-t-il bon ou mauvais visage ? — C’est que déjà le temps approche où Louis XIV pourra dire : « L’État, c’est moi ! » Tous ces gentilshommes si affairés, si empressés, si bourdonnants autour du dais royal, ces courtisans qui meurent de désespoir pour une rebuffade, qui perdent la tête de joie pour un sourire, pressentent déjà confusément, et comme à leur insu, cette importante vérité. Richelieu, qui va venir, portera de ses mains sanglantes le dernier coup de hache au grand arbre de la féodalité. En fauchant la haute aristocratie, le cardinal-ministre fait la place nette à 93 ; à dater de lui, il n’y a plus de grands seigneurs, de hauts barons féodaux luttant contre le roi, et presque rois dans leurs terres :


Il a, de ses mains aguerries,
Dans leurs nids crénelés, tué les seigneuries.


Il a achevé l’œuvre commencée par Louis XI, celui de tous les rois qui, après lui, cardinal-roi (car Louis XIII