Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faisait préférer la marche à la voiture, sir William, dans un monologue que le flegme ordinaire des Anglais ne l’empêchait pas d’entremêler de gestes qui eussent paru bizarres si, à Londres, quelqu’un en regardait un autre, se posait une foule de questions insolubles à l’endroit de l’événement arrivé le matin.

— Que diable, se disait sir William, nous avons beau mériter un peu la réputation d’hommes excentriques qu’on nous fait sur le continent, l’action de mon ami Benedict dépasse toutes les bornes de l’originalité. Planter là, sur le seuil d’une église, la plus belle fille des trois royaumes, c’est une action sauvage et détestable. Benedict était assurément amoureux fou de miss Amabel ; ce n’était pas un caprice ; depuis un an il la voyait presque tous les jours ; il ne s’était donc pas enthousiasmé à la légère. Miss Amabel a l’âme aussi charmante que le corps ; elle est belle au dedans comme au dehors. Qui peut avoir désenchanté si subitement Benedict ? A-t-il, au moment suprême, découvert quelque vice caché, quelque cas rédhibitoire, pour parler la langue des maquignons ?

Cependant, en allant à l’église dans la voiture avec moi, il paraissait radieux de bonheur, caressant des rêves d’avenir et ne méditant pas le moindre projet de fugue. Il avait l’air de présenter sa tête de très bonne grâce au joug de l’hymen, et personne n’aurait pu prévoir qu’il allait secouer brusquement les oreilles et s’enfuir en hennissant, comme un poulain farouche. Il faut donc qu’au moment de la quitter, la vie de garçon se soit peinte à ses yeux de bien séduisantes couleurs, ou ce