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Le bouquet nuptial et les parures de fiancée que le vague regard d’Amabel saisit au fond de la glace, dans leur blanche fraîcheur et leur virginal éclat, lui parurent une odieuse ironie, une dérision cruelle.

— Déshabilles-moi, dit-elle à ses femmes. À quoi bon ces parures mensongères ? Je ne suis pas une fiancée, mais une veuve : donnez-moi une robe noire.

— Bon ! s’écria lady Eleanor, voilà encore une idée romanesque. Se mettre en noir, c’est exorbitant : une robe de couleur brune eût suffi, car, après tout, vous n’êtes pas mariée. Vous vous compromettez, miss Amabel ; cela pourra vous nuire plus tard. Benedict n’est pas le seul époux qu’il y ait au monde.

— Si, ma tante ; pour moi, c’est le seul.

— Propos de jeune fille amoureuse. Aucune perte n’est irréparable ; tout se remplace, et un homme en vaut un autre ; croyez-en ma vieille expérience, dit en se rengorgeant lady Eleanor, qui, grâce à ce qu’en pareille matière le mot « expérience » avait de flatteur, risqua l’épithète « vieille », pour donner plus de rondeur à la période et d’autorité à la maxime.

De son côté, le pauvre William Bautry, ne sachant comment se rendre compte d’un événement si bizarre, parcourait la rue pour la vingtième fois avec cette obstination stupide que donne l’incompréhensible. Il croyait trouver sir Benedict, à force d’allées et de venues : il entra à plusieurs reprises dans les rares boutiques de la ruelle, et se fit répéter à satiété par les honnêtes habitants de