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bras Amabel, qu’elle traîna jusqu’à sa voiture.

Quand elle se trouva seule avec sa tante, Amabel, jusque-là abîmée dans une stupeur muette, fut saisie d’une crise nerveuse ; ses jolis traits se contractèrent, des sanglots violents soulevèrent sa poitrine, et si d’abondantes larmes n’eussent enfin jailli de ses yeux, sa douleur l’eût étouffée.

— La perte de cinquante mille Arundell ne vaut pas une de ces perles qui tombent de vos beaux yeux, chère petite, disait Eleanor en tâchant de calmer miss Vyvyan. — Je vous avais bien dit, ma nièce, qu’un galant homme ne quittait pas sa fiancée à la porte d’une église pour parler à un ami. Ce n’est pas sir Alan Braybrooke qui eût jamais commis une impropriété pareille. Quel peut être ce Sidney ? Le frère de quelque créature que ce gueux d’Arundell avait séduite et qui attendait dans quelque maison voisine, son poupon sur les bras.

— Ma tante, Sidney n’avait pas de sœur ; sir Benedict me l’a dit plusieurs fois, répondit Amabel à lady Braybrooke ; votre supposition tombe d’elle-même. D’ailleurs, sir Benedict Arundell est incapable…

— Bah ! bah ! vous autres jeunes filles, vous avez toujours des excuses pour ces beaux jeunes gens à favoris frisés qui regardent la lune en vous parlant le soir. Votre Benedict était poétique et poète. J’ai toujours détesté ces caractères-là. Avec eux, l’on ne sait jamais sur quel pied danser : ils vous ont des manières de voir incompréhensibles, et une sorte de logique inverse qui leur fait prendre la résolution à laquelle personne ne peut s’atten-